Lettre du 12 août 2004 à André de Comte-Sponville Ayant réalisé un travail de recherche à l’Institut Universitaire d’étude du développement (IUED) à Genève concordant sur de nombreux point à l’approche par niveau que vous développez dans votre dernier livre (Le capitalisme est-il moral ?), je me permets de vous transmettre quelques informations concernant ma recherche, qui, je l’espère, sera de nature à renforcer nos approches mutuelles, et peut être à engager entre nous une réflexions à plus long terme. Mon travail de modélisation (Essai de modélisation d’un itinéraire de développement, Bibliothèque de l’IUED) est un outil d’analyse, une grille de lecture qui a pour objectif l’aide à la décision. Comme le titre l’indique, c’est un essai de modélisation et une analyse quantitative de la complexité sociale qui a pour objectif final la recherche du développement durable. J’ai structuré le model d’analyse en 6 niveaux (p.12 du résumé) ; un niveau virtuel à 0 dimensions (0D), deux niveaux physiques (1 et 2 dimensions), le niveau biologique (3D), le niveau social (4D) et le niveau psycho-spirituel (5D). Chacun de ces niveau est structuré par 4 opérateurs c’est-à-dire 4 types d’interactions entre les éléments (p.3), de manière à assurer une dynamique systémique autonome. De cette manière les systèmes peuvent reproduire, différencier, organiser et lier les éléments dans la dimension de l’espace défini par le niveau dans lequel ils évoluent. Par exemple, dans le niveau biologique (3D), il y a production (reproduction, différenciation, organisation, liaison) d’éléments dont la valeur est définie par les formes (fonction des protéines, fonctions des tissus et des organes, structure de l’ADN, …). Dans le niveau social (4D), il y a production de dynamiques (reproduction, différenciation, organisation, liaison) dont la valeur est définie par l’utilité des processus, la capacité à anticiper, à prévoir et à planifier des processus et des dynamiques. Les 4 niveaux que vous définissez correspondent, à mon avis, aux 4 opérateurs ou 4 phases de mon model, et qui, sur le niveau social, correspondent au sens large à l’économie, à la politique, au social (relation sociale et non niveau social), et à l’éducation. Je précise ces correspondances ; La phase D : Différenciation (p.6). Elle est caractérisée par des interactions de type « échange égalitaire à réciprocité instantanée ». Elle correspond à l’ordre 1, l’ordre économico-technico-scientifique, avec la définition du possible et de l’impossible. Pratiquement, c’est la spécialisation des taches (approche technico-scientifique) qui permet la performance et qui engendre le développent et la croissance économique. Elle est associée à l’échange (approche économique) pour faire diffuser les biens et services (concentrés dans l’entreprise) dans l’environnement social. La phase H : Hiérarchie (p.8). Elle est caractérisée par des interactions donnant lieux à des flux asymétriques, allant de l’élément de basse hiérarchie vers l’élément de haute hiérarchie. Elle correspond à l’ordre 2, l’ordre juridico-politique avec la définition du légal et de l’illégal. La phase L : Liaison (p.9). Elle est caractérisée par des interactions donnant lieu à des flux symétriques, mais à réciprocité différée dans le temps. Elle correspond à l’ordre 3, l’ordre de la morale, avec la définition du devoir et de l’interdit, du bien et du mal. Alors que je définis des flux (quantitatifs) pour caractériser les phases, vous définissez des critères qualitatifs de références pour les niveaux. C’est à travers la relation sociale que se construit la morale, et c’est la morale qui détermine les relations sociales. La morale est désintéressée, comme les flux produisant la relation sociale. Elle est le critère sur lequel se construit le réseau social. La phase R : Reproduction (p.7). L’éducation est caractérisée par des interactions conduisant à des flux asymétriques allant de la haute hiérarchie vers la basse hiérarchie (pour l’objet du flux uniquement). Elle correspond à l’ordre 4, l’ordre éthique, caractérisée par l’amour. Le critère qualitatif est l’éthique, et l’amour en est la valeur dominante (valeur idéale). Comme dans les flux éducatifs, l’amour ne peut que se donner. En ce qui concerne la dynamique des ordres, vous avez structurés ces niveaux en quatre ordres hiérarchiques (hiérarchie ascendante des primautés), les niveaux supérieurs correspondant à l’environnement des niveaux inférieurs qui sont ainsi contrôlés de l’extérieur. J’ai, pour ma part, structuré ces quatre phases dans une dynamique évolutive en forme de spirale (p.18). Je considère également que l’ordre 1 est contrôlé de l’extérieur par l’ordre 2, l’ordre 2 par le 3 et l’ordre 3 par le 4. Mais je considère aussi que l’ordre 4 est contrôlé par l’ordre 1, fermant ainsi la boucle qui peut évoluer dans une dynamique de spirale. En effet l’identité des systèmes, caractérisé par leur éthique notamment, se modifie au cours du temps avec l’évolution des systèmes. Pratiquement, elle est conditionnée par les contraintes de l’ordre économique ainsi que des autres ordres. La dynamique de mon model comporte deux sens (p.18),
comme les deux enchaînements des ordres que vous proposez. Au sein de chaque phase, qui comporte sa dynamique propre, il existe une dynamique de construction complexe, correspondant au bénéfice intériorisé dans le système et une dynamique entropique qui extériorise ses charges entropiques dans l’environnement. Dans la dynamique de construction complexe, un ordre économique important (n1) engendre une dynamique hiérarchique (juridico-politique, n2), une régulation de l’extérieur comme vous le soulignez. Un niveau hiérarchique important, contraignant, engendre le lien social (n3)(se mettre ensemble pour faire face à des contraintes sociale, environnementales,…). Un niveau social important (dans le sens des relations sociale don/contre-don de M. Mauss) engendre une dynamique de reproduction, une dynamique identitaire et éducative (n4). Enfin, une forte identité (n4) est un substrat favorable à l’émergence de la différenciation (n1). La distinction entre individus qui possèdent une dynamique ascendante et systèmes sociaux qui possèdent une dynamique descendante, se retrouve également dans mon concept et plus particulièrement dans les résultats de l’analyse que j’ai effectué à titre d’exemple sur un réseau de commerce des fruits secs. Ce n’est pas une donné du model mais un résultat d’analyse. L’individu cherche en premier son propre développement, il cherche à développer sa propre complexité afin d’assurer la durabilité de son propre système individuel. Les systèmes sont en général spécialisés dans un ordre ; Etat (n2), entreprise (n1), école, université (n4), église, club (n3). Ils sont donc relativement moins complexe que les individus puisque la complexité est définie comme étant le produit des valeurs des flux des quatre phases (p10). Plus les systèmes sont spécialisés sur une phase, sur un ordre, plus leur représentation dans l’espace des phases est décentrée, et moins leur complexité, donc leur durabilité, est importante. Je n’ai ici souligné que les plus importantes
correspondances entre nos deux approches. Je serais très honoré,
si vous le souhaitez, de vous faire parvenir un exemplaire du travail
dans lequel mon concept est développé, et de vous rencontrer
par la suite pour en discuter.
|
|